Ma vie d'esclave
EAN13
9782841876907
ISBN
978-2-84187-690-7
Éditeur
Archipel
Date de publication
Collection
RECITS, TEMOIGN
Nombre de pages
320
Dimensions
22,5 x 14 cm
Poids
452 g
Langue
français
Langue d'origine
anglais
Code dewey
306.362
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Ma vie d'esclave

De

Archipel

Recits, Temoign

Indisponible

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Ce livre a été publié sous le titre
Slave
par Doubleday, Londres, 2003.

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eISBN 978-2-8098-1332-6

Copyright © Mende Nazer, Damien Lewis, 2002.
Copyright © L'Archipel, 2005, pour la traduction française.

Prologue

Le jour qui changea ma vie à jamais s'ouvrit sur une aube radieuse. Je saluai le soleil levant en me plaçant face à l'est pour prononcer la première de mes cinq prières quotidiennes à Allah. Nous étions au printemps 1994 et la saison sèche arrivait à son terme. J'avais environ douze ans. Après la prière, je me préparai à me rendre à l'école. J'avais une heure de marche à effectuer pour y parvenir, une heure pour en revenir. J'étudiais avec beaucoup d'application, parce que je souhaitais devenir médecin.

Pour une petite Africaine modeste comme moi, il s'agissait d'un grand rêve. Je suis originaire de la tribu des Nubas, des monts Nuba du Soudan, l'un des lieux les plus isolés de la planète. Je vivais dans un village de cases en pisé aux toits de chaume, niché au pied de hautes collines. Ma tribu n'était composée que de chasseurs et d'agriculteurs, pour la plupart musulmans. Mon père possédait un troupeau de cinquante têtes de bétail, ce qui signifiait que, sans être riche, il n'était pas non plus démuni.

Après ma journée d'élève studieuse, je rentrai à la maison où j'effectuai les tâches qui m'étaient dévolues. Puis ma mère prépara le repas du soir. Mon père avait passé la journée aux champs à moissonner, aidé de mes frères, si bien qu'ils étaient tous affamés. Après le dîner, nous nous réunîmes dans la cour où nous écoutâmes notre père nous conter des histoires. Je me souviens que nous rîmes à gorge déployée, assis autour du feu. Mon père était un homme très drôle, un blagueur né. J'éprouvais une profonde affection pour tous les membres de ma famille.

Comme il faisait froid ce soir-là, nous ne nous attardâmes guère dehors. J'allai me coucher comme d'habitude, pelotonnée contre mon père. Un feu brûlait au milieu de la case, qui nous tenait chaud toute la nuit. Ma petite chatte, Uran, était lovée sur mon ventre. Ma mère était allongée sur son lit, de l'autre côté du feu. Il ne nous fallut pas longtemps pour tous dormir à poings fermés. Mais à peine nous étions-nous endormis qu'un raffut effrayant se produisit dans la cour. J'ouvris les yeux, interloquée, et j'aperçus une sinistre lumière orange danser à l'intérieur de la case.

Mon père se leva d'un bond en hurlant :

— Ook tom gua ! Le feu, le feu au village !

Nous nous précipitâmes à la porte. À l'autre bout du village, des flammes jaillissaient vers le ciel. Au début, nous pensâmes qu'un villageois avait dû incendier sa hutte par mégarde. C'était plutôt monnaie courante dans notre village. Mais nous entrevîmes alors des silhouettes qui couraient entre les cases, des torches à la main. Je les vis jeter des brandons sur les toits de chaume, qui s'embrasèrent sur-le-champ. Leurs habitants se précipitèrent à l'extérieur, mais ces hommes les attaquèrent et les jetèrent sur le sol.

— Des « Mourahilines » ! hurla mon père. Des envahisseurs arabes ! Les Mourahilines attaquent le village !

Figée par la peur, je ne comprenais toujours pas bien ce qu'il se passait. Mon père me saisit alors par le bras.

— Go lore okone ? Go lore okone ? cria-t-il. Par où s'enfuir ? Par où s'enfuir ?

Il cherchait désespérément une solution. Tout contre moi, je sentais ma mère trembler. J'étais terrifiée. J'agrippai la main de mon père, tout en serrant ma petite chatte Uran. Nous prîmes nos jambes à notre cou.

— Courons vers les collines ! cria mon père. Suivez-moi ! Courez ! Courez !

Au passage, nous vîmes des horreurs dignes des pires cauchemars. Mon père était en tête, moi sur ses talons, suivie de près par ma mère. Je tenais toujours ma chatte dans le creux de mon bras. Tant de cases brûlaient que le ciel tout entier était illuminé par les flammes. Des femmes et des enfants en pleurs, hurlant de confusion et de terreur, s'enfuyaient dans toutes les directions. Je vis les agresseurs se saisir d'enfants et les arracher des bras de leurs parents.

— Si l'un d'eux essaie de t'attraper, accroche-toi à moi de toutes tes forces, Mende ! hurla mon père.

Je vis les Mourahilines trancher des gorges de leurs poignards incurvés qui luisaient à la lumière du brasier. Je ne peux pas vous décrire toutes les scènes que j'entr'aperçus au cours de notre fuite à travers le village. Personne ne devrait jamais être témoin des atrocités auxquelles j'assistai cette nuit-là.

À travers la fumée et les flammes, je compris que mon père prenait la direction du mont le plus proche. Mais, alors que nous approchions du couvert de la forêt et des collines, nous aperçûmes subitement, juste devant nous, un rang désordonné de cavaliers. Regards fixes et féroces, longues barbes hirsutes, vêtements sales et en lambeaux, ils ne ressemblaient en rien aux hommes de notre tribu. Ils brandirent leurs dagues dans notre direction. Ils avaient bloqué la seule issue évidente par laquelle nous pouvions nous échapper. Partout autour, des villageois épouvantés se précipitaient dans la gueule du loup. Lorsqu'ils prirent conscience de cette embuscade, ils firent volte-face en poussant des cris. Cette atmosphère de chaos et de terreur était renforcée encore par des rafales de coups de feu.

Au moment où nous nous retournâmes pour rebrousser chemin, mon père appela ma mère d'une voix désespérée. Dans toute cette panique, nous l'avions perdue. Je me retrouvais à présent seule avec lui. Nous courions, courions... Je sentais bien qu'il me pressait d'aller plus vite, encore plus vite. Mais je trébuchai et tombai à terre. Ma chatte, je m'en souviens, bondit hors de mes bras. Et pendant que j'essayais tant bien que mal de me relever, l'un des Mourahilines m'agrippa l'épaule.

Mon père bondit sur lui et parvint, en luttant, à le projeter à terre. Je le vis lui assener des coups sur la tête. L'homme ne s'en releva pas. Mon père me saisit par les bras et m'entraîna à l'écart des combats. Il allait si vite que j'avais l'impression que mes jambes étaient réduites en bouillie par les pierres tranchantes. Mais je me moquais de cette douleur.

— Cours, Mende, cours ! Le plus vite possible ! hurla mon père. Si les Arabes veulent t'enlever, ils devront d'abord me tuer !

Nous nous précipitâmes vers l'autre extrémité du village. Mais j'étais à présent vraiment épuisée. Je m'affaiblissais de plus en plus. Subitement, un troupeau de bétail qui fuyait l'incendie nous percuta et je tombai une seconde fois. Je sentis les sabots qui piétinaient mon corps recroquevillé sur le sol. Je crus véritablement que ma dernière heure était arrivée.

Au loin, j'entendis la voix de mon père qui criait :

— Mende agor ! Mende agor ! Où es-tu, Mende ? Où es-tu, Mende ?

Sa voix semblait brisée par le chagrin. J'essayai de l'appeler à gorge déployée, mais la douleur et la poussière m'étouffaient. Je ne parvins à émettre qu'un murmure éraillé.

— Ba ! Ba ! Ba ! croassai-je. Papa ! Papa ! Papa !

Mais mon père ne pouvait pas m'entendre. Tandis que je restais allongée, pétrifiée, le visage mouillé de larmes, appelant éperdument mon père au secours, un homme me saisit par-derrière. Il me cloua au sol. Sa barbe de plusieurs jours piquait ma nuque et son haleine empestait.

Je savais que mon père n'était pas loin, qu'il me cherchait avec l'énergie du désespoir. Je tentais de l'appeler. Mais l'homme m'en empêcha de sa patte sale.

— Ferme-la ! siffla-t-il en arabe. Ferme-la et ne bouge pas ! Si tu continues à crier, les autres vont te trouver et te tuer.

Il me releva et me fit traverser le village. À la lumière des cases en feu, je distinguai le poignard incurvé et le revolver qu'il portait à son ceinturon.

Tandis qu'il m'emmenait, je suis sûre d'avoir entendu mon père crier une fois de plus :

— Mende ! Mende !

Mon père était l'homme le plus courageux du monde. Je savais qu'il aurait tout fait pour m...
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